Le jeûne, une médecine d’avenir
Il a longtemps été qualifié de farfelu, d’irresponsable, voire de dangereux par les médecins. Pourtant, le jeûne est en train de faire la preuve qu’il peut être un formidable instrument de bonne santé. Et un nouvel outil pour accompagner la guérison de certains malades.« On est foutus, on mange trop », chantait Alain Souchon.
Yvon Le Maho, directeur de recherche au CNRS, l’exprime différemment : « Le corps humain est beaucoup mieux adapté à la carence de nourriture qu’il ne l’est à son excès. » Ce spécialiste du métabolisme des animaux jeûneurs affirme que nous possédons le même dispositif d’adaptation. Non seulement notre corps ne souffrirait pas du jeûne, mais il en tirerait bénéfice. Nos ancêtres étaient habitués aux périodes de disette. Leur corps s’autonourrissait des réserves accumulées pendant la saison d’abondance. Aujourd’hui, nous ingérons toute l’année trop de graisses, de sucres, de pesticides et de polluants divers. Notre appareil digestif a besoin de se mettre de temps en temps en mode « pause ».
Contre les maladies du «trop»
« Le jeûne soulage les maladies du “trop” », insiste Françoise Wilhelmi de Toledo, médecin, qui dirige la clinique Buchinger, à Überlingen, en Allemagne. Plus ancienne clinique de jeûne thérapeutique d’Europe, elle fête cette année ses 60 ans d’existence. Les milliers de patients du monde entier venus perdre quelques kilos, ou souffrant d’allergies, de problèmes digestifs ou articulaires s’en portent si bien que la moitié d’entre eux reviennent chaque année. Dans son livre L’Art de jeûner, la spécialiste explique de façon très détaillée comment, au bout de deux semaines, le sang est épuré. La diminution du taux de sucre et d’insuline donne des résultats spectaculaires chez les diabétiques de type 2. L’absence de sel permet d’éliminer une grande quantité d’eau, la régénération cellulaire s’active, la flore intestinale se régénère et les phénomènes inflammatoires, comme les migraines, les maladies articulaires ou l’asthme sont apaisés. Même l’humeur est harmonisée, le jeûne augmentant les effets de la sérotonine.
Pour réintégrer son corps
Patricia, une ingénieure de 47 ans, souffre depuis deux ans d’une maladie articulaire auto-immune, la spondylarthrite ankylosante, qui lui occasionne de terribles douleurs et la contraint au repos. Après avoir vu sur Arte le documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, Le Jeûne, une nouvelle thérapie, elle a interrogé son rhumatologue qui, depuis deux ans, la bourrait d’antidouleurs et d’antiinflammatoires : « Il m’a prise pour une dingue. Pour lui, je me mettais entre les mains de guérisseurs, au sens négatif du terme. Je suis partie quand même pour trois semaines de jeûne. »
Au bout de quelques jours à la clinique Buchinger, elle a diminué de moitié ses doses d’antiinflammatoires. Trois mois après son retour, elle fait le bilan : « Je reprends un antidouleur de temps en temps quand ça tiraille, mais les symptômes de ma maladie ont été atténués au point que je mène aujourd’hui une vie normale. Je sais maintenant que je peux gérer ma maladie. » Elle conclut : « J’ai enfin réintégré mon corps. » Quand elle a évoqué son expérience auprès du stomatologue qui la suit, il lui a demandé en riant : « Et ça vous a coûté combien de ne rien manger ? » Elle aurait pu lui répondre : « Environ trois cents euros par jour. » Le prix d’un très bon hôtel, avec un personnel médical présent jour et nuit, une salle de fitness et une piscine, des cours de gym et de la méditation, pour que les muscles soient en action et l’esprit au repos.
Un manque de crédit ?
La plupart des spécialistes français, à l’image de ceux qui suivent Patricia, sont opposés au jeûne, jugeant ceux qui le pratiquent comme des gogos et ceux qui le prescrivent comme de dangereux farfelus. « Il manque en France une figure charismatique et crédible qui défende le jeûne pour que l’image change », analyse le réalisateur Thierry de Lestrade, qui vient de publier un ouvrage prolongeant son documentaire. Il ajoute : « En France, quand les médecins ne savent pas, ils disent : “Ne faites pas !”!» Son film a fait grand bruit, poussant de nombreux malades à questionner leur praticien sur l’opportunité de jeûner.
Rien de plus insupportable, quand on a fait dix années d’études, que de devoir se justifier face à un patient qui a entendu parler de sa maladie à la télévision ! Surtout s’il s’agit de nutrition, un domaine quasi absent du cursus universitaire.
La méconnaissance des médecins
« Si les médecins rejettent cette pratique, c’est surtout par méconnaissance, confirme Michel Lallement, chirurgien cancérologue. Durant nos études, nous recevons une formation archaïque avec très peu de cours sur la nutrition. » Convaincu que notre alimentation « toxique » est un facteur déterminant dans l’explosion des maladies chroniques émergentes et des cancers chez les jeunes, il porte un regard curieux sur toutes les pistes nouvelles et envisage de créer un centre de prise en charge nutritionnelle des malades. « Les médecins ont du mal à accepter la nouveauté, poursuit-il. Mais dans le cas du jeûne, il suffit de faire deux colonnes, bénéfices et risques, pour s’apercevoir qu’il n’y a aucun risque si le jeûneur ingère des jus de légumes pour maintenir son apport en vitamines. »
Une médecin généraliste belge, Brigitte Steiner, a suivi le jeûne Buchinger après en avoir constaté les bienfaits sur l’un de ses patients ayant soigné ainsi ses problèmes respiratoires. Elle avoue : « J’ai été impressionnée par les résultats. » Elle-même atteinte d’une affection des bronches, la bronchectasie, elle a décidé d’intégrer cette « réparation » dans sa vie. Comme quoi, un médecin à l’écoute peut apprendre de ses patients. « Mais cela demande de l’humilité, reconnaît– elle. Beaucoup de médecins se montrent trop sûrs de leur savoir. »
« De nouvelles études commencent à convaincre les plus jeunes médecins », se réjouit Françoise Wilhelmi de Toledo. Celles de Valter Longo sont les plus prometteuses. Ce jeune et brillant chercheur gérontologue de l’université de Californie a fait, en 2018, une découverte qui a ébranlé la communauté scientifique et médicale internationale. Il a injecté de très fortes doses du produit utilisé en chimiothérapie sur des souris à qui il avait inoculé un cancer. Il les a séparées les rongeurs en deux groupes, a fait jeûner l’un et alimenté normalement l’autre. Au bout de quelques jours, le résultat l’a stupéfié lui-même : les souris bien nourries étaient mortes, toutes les autres avaient résisté.
Cancer : des études en cours
Des études complémentaires lui ont permis de démontrer que, non seulement le jeûne permettait aux souris de mieux supporter la chimiothérapie et d’en atténuer les effets secondaires, mais aussi que les cellules saines étaient devenues plus résistantes et les cellules cancéreuses affaiblies. Mais comme aiment à le répéter les cancérologues agacés par Longo et sa médiatisation, les souris ne sont pas des humains. Grâce à des fonds reçus suite à ses recherches, il a pu prolonger son étude sur l’homme. La première phase terminée lui a permis de démontrer qu’un jeûne de quarante-huit heures avant une séance de chimio et de vingt-quatre heures après réduisait les effets secondaires sur la personne malade, comme cela avait été le cas sur les souris. « Ces résultats sont conformes à ce que nous avons publié précédemment, affirme-t-il. Cependant, nous devons attendre la deuxième phase d’essais cliniques pour avoir confirmation. La bonne nouvelle est aussi que nous n’avons rencontré aucun problème majeur causé par le jeûne lui-même. »
Des cancéralogues réticents
Les cancérologues français restent prudents. Pour certains, rien de nouveau, les patients, redoutant les nausées, réduisent d’eux-mêmes leur alimentation avant et après les séances de chimio. D’autres jugent le jeûne dangereux, les malades du cancer souffrant surtout de dénutrition. La plupart, comme David Khayat, cancérologue, ne se prononcent pas, attendant les résultats définitifs sur l’homme : « Malgré mon appétence pour les nouvelles recherches, et celles de Valter Longo en particulier, je reste extrêmement prudent. Je m’astreins à ne rien préconiser qui ne soit prouvé sur des patients humains. » Quelques rares praticiens, comme le docteur Lallement, anticipent. Il conseille un jeûne de trois jours aux malades en cure de chimio : un jour avant le traitement, le jour de la chimio et le lendemain, avec apport de jus de végétaux pour éviter les carences. Mais il préconise l’appui de leur cancérologue pour éviter que le produit ne soit mélangé à du sérum sucré, ce qui retirerait tout le bénéfice du jeûne. « Malheureusement, souligne-t-il, très peu de médecins acceptent de jouer le jeu. »
Pendant que les Français doutent, le chercheur californien, persuadé que « le jeûne est le cauchemar des cellules cancéreuses », poursuit ses recherches sur ses effets sur le cancer, indépendamment des cures de chimiothérapie : « Il est définitivement prouvé que le jeûne a un effet sur la progression des cellules cancéreuses des souris, et nous avons déjà des éléments de preuve sur des patients atteints de cancers qui suivent des jeûnes périodiques. Cependant, le jeûne sans chimio ne fait que retarder la progression du cancer, et les résultats encourageants ne concernent pas tous les cancers. »
Henri Joyeux, professeur de cancérologie à l’université de Montpellier, regrette de son côté que les médecins « soient branchés à 100!% sur les médicaments et les nouvelles molécules », il reste toutefois précautionneux en ce qui concerne le jeûne : « Pour un malade du cancer, ce peut être dangereux, surtout pour les personnes sans réserves glucidiques ou graisseuses. Le malade risque de perdre son immunité dont il a tant besoin. Mais il faut éviter l’extrémisme, dans un sens ou dans l’autre. »
Alors que faire ? Cet article, comme le documentaire de Thierry de Lestrade, comme la publication des recherches de Valter Longo et l’écho qu’elles reçoivent, risque de pousser des malades de plus en plus nombreux à jeûner seuls ou à se mettre entre les mains de charlatans. Beaucoup le font déjà « en cachette » de leur médecin. Il serait temps que les a priori tombent pour qu’ils se sentent accompagnés.